Le soleil se lève à Nantes

Cet automne, la ville de Nantes accueillait le projet transdisciplinaire "Nantes <> Japon", sur le sujet de la création artistique par des personnes en situation de handicap et l'inclusion sociale grâce à l'art. L'un des objectifs de l'événement était de montrer l'expression et la singularité de la culture japonaise dans ce contexte : à cette occasion, le Lieu Unique proposait l'exposition "Komorebi, Art brut japonais". Hasard (?) du calendrier, le Château des Ducs de Bretagne en ouvrait une autre, plus classique, consacrée au mythe des 47 Rônin. La parenthèse nippone sera bientôt terminée, et si on profitait des derniers jours pour s'y plonger tout entier ?





Ce n'est pas la première fois que le Château des Ducs de Bretagne nous fait voyager dans le Japon féodal : en 2014 déjà, la très belle « Samouraï, 1000 ans d'Histoire du Japon » donnait à voir un nombre impressionnant d'objets liés à ces guerriers. « Les 47 Rônin, Histoire d'un mythe japonais en estampes » présentée depuis le mois d'octobre, se démarque nettement cependant. Loin de faire redondance, cette exposition se concentre, comme son nom l'indique, sur l'histoire de 47 rônin : 47 vassaux laissés sans maître après que celui-ci se soit donné la mort sur ordre de son général, conséquence d'une altercation avec un fonctionnaire de très haut rang. Leur vengeance accomplie — l'assassinat dudit fonctionnaire —, ils sont à leur tour contraints de pratiquer le suicide rituel, le seppuku (connu chez nous sous le terme erroné Hara-kiri). Symboles de l'honneur samouraï, les 47 rônin ont aujourd'hui atteint l'immortalité. L'exposition retrace comment le fait divers originel, bien réel, est devenu un mythe au fil des siècles, réécrit dans de nombreuses formes artistiques, allant jusqu'à dépasser les frontières (même Keanu Reeves s'y est mis). 

Affichette de théâtre reprenant la légende des 47 rônin




Vues générales de l'exposition "Les 47 Rônin"


La salle dans laquelle est installée l'intégralité de l'exposition n'est pas grande, mais l'absence de cloisons fixes permet de la moduler à l'envie. La scénographie est de circonstance, épurée avec une structure japonisante très ajourée qui donne au parcours la forme d'une sorte de spirale angulaire. Tout le long de la galerie, des séries d'estampes déroulent la narration du fait divers, et côtoient affiches de théâtres d'hommes et de marionnettes, livres, estampes de maîtres ou encore cinéma, avec même le détail du processus de fabrication d'une estampe. Visible dès l'entrée, l'élément central, une armure majestueuse, est cernée d'estampes qui illustrent les actes de l'opéra tiré du fait historique. L'accent est mis sur la comparaison entre la réalité et l'invention, les adaptations de l'histoire selon les formes artistiques, et le visiteur est remarquablement accompagné dans la lecture des œuvres par les cartels. Plusieurs kakemonos (rouleaux de papier suspendus déployés à la verticale) introduisent les étapes du parcours. Malgré leurs efforts pour dénouer l'intrigue, les textes qui posent le fait divers dans son intégralité demeurent difficiles d'accès : les phrases, un peu longues, regorgent d'informations, et font facilement perdre le fil au lecteur. Une représentation visuelle, un schéma à la manière d'un arbre généalogique, aurait peut-être rendu compte plus clairement des rapports entre les protagonistes et de leurs statuts respectifs. Si la chronologie des événements est dans un premier temps un peu abstraite, les moments-clés du récit ressortent au fur-et-à-mesure du parcours grâce aux confrontations des différentes adaptations. 

L'originalité du sujet et des angles sous lesquels il est abordé, et la rareté des pièces présentées (une grande partie provient d'une collection privée) font de l'exposition une vraie curiosité à ne pas manquer. Conclusion : il va falloir courir...


Shinichi Sawada, Sans titre, 2006-2012

Shoichi Koga, Sans titre, 2014

Takanori Herai, Journal, 2000-2006


En face du château, le Lieu Unique nous parle d'un tout autre Japon : celui, contemporain, des institutions sociales et des personnes en situation de handicap mental qui s'y retrouvent pour créer. Le texte de représentation disponible sur le site internet du Lieu Unique s'apparenterait presque à un petit gargarisme, en particulier parce qu'il manque de mise en contexte (pas évident de comprendre de quoi il s'agit). Bien plus facile à lire une fois l'exposition vue, il aura peut-être fait tourner les talons à certains... Et c'est bien dommage, tant le sentiment de s'être enrichi est fort à la sortie. L'aspect médical de la thématique, pas toujours évident à appréhender, passe finalement au second plan : l'exposition ne donne pas de détails sur les affections des uns et des autres. Ce n'est pas ce qui compte ici, mais les œuvres elles-mêmes et ce qu'elles disent de leurs auteurs. « Komorebi » offre un regard humain, plein de tendresse, et raconte très simplement (et agréablement) les parcours, les passions, les modes de vie des 42 artistes exposés.


Exemple de cartel au Lieu Unique : les phrases sont plutôt courtes, et les termes japonais
spécifiques sont expliqués grâce à des astérisques, facilitant ainsi la lecture.



Vues générales de l'exposition "Komorebi"


Comme de coutume à l'ancienne biscuiterie, une double page est mise à disposition du visiteur. Elle comprend deux textes écrits par les commissaires de l'exposition, expliquant notamment son nom ; des repères historiques concernant la place accordée à l'art brut au Japon ; ainsi que le plan détaillé du parcours. La grande halle où est installée l'exposition est ainsi découpée en 4 sous-thèmes : « villes fantômes », « structures et classifications », « pop culture », « paysages intérieurs et intimités ». La déambulation entre ces différentes zones est fluide, les œuvres présentant certaines porosités entre elles. On y est saisi par l'étonnement, l'émotion, l'admiration... Il y en a pour tous les goûts. Les sujets et obsessions font sourire, la qualité et la minutie impressionnent, tout comme la créativité (le choix des médiums, les modes de représentations), le temps consacré et la grande poésie qui se dégage de chaque pièce. Les cartels sont très clairement énoncés et permettent de rentrer très naturellement dans l'univers de chaque artiste. Un espace de l'exposition diffuse également plusieurs documentaires courts sur certains d'entre eux. Pourtant, il manque une définition, même brève, de l'art brut au sens large du terme. Les visites commentées (prévues à des dates précises) permettent cependant de revenir sur ce point. Outre cela, la médiation est bien conçue, avec parfois de petits schémas explicatifs, et est d'une façon générale accessible aux enfants. Les œuvres captent l'œil par leurs couleurs, leur complexité et leurs différentes échelles : on est vite fasciné et on repart avec l'envie folle de créer ! 


« Les 47 Rônin, Histoire d'un mythe japonais en estampes », jusqu'au 7 janvier au Château des Ducs de Bretagne, accès à l'exposition et au musée d'histoire de Nantes 5-8€ (gratuit pour les moins de 18 ans).

« Komorebi, Art brut japonais », jusqu'au 14 janvier au Lieu Unique, entrée libre.
Visite commentée « Flash » (20 minutes) le 4 janvier à 14h et à 15h, gratuit.
Visite commentée de 1h30 le 6 janvier à 15h30, 2-4 € (gratuit pour les moins de 12 ans).



Le Japon, ses samouraïs légendaires et... son art brut ? À Nantes, deux expositions font la part belle à la singularité de la culture nippone. Celle d'hier, avec le mythe des 47 Rônin, et celle d'aujourd'hui, avec les créations de personnes touchées par un handicap psychique.

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