Retour sur... la Nuit des Idées 2018

La Nuit des Idées est une manifestation annuelle organisée par l'Institut français, en France et dans d'autres pays du monde, pour la diffusion et l'échange des idées actuelles et nouvelles. Conférences, débats, tables rondes permettent au public et à toutes sortes d'intervenants d'aborder une grande diversité de sujets dans de nombreux domaines (sciences, politique, art, urbanisme, économie et bien plus encore). 


© La Nuit des Idées 2018 - Institut français

Le 25 janvier dernier, la Nuit des Idées prenait pour thème général un des slogans portés par la foule de mai 68, "L'imagination au pouvoir". À la Rochelle, le rendez-vous avait lieu pour la première fois à la Coursive, Scène nationale, et faisait notamment intervenir Jean-Louis Bonnin, consultant culturel, Président de l'Observatoire des politiques culturelles et ancien Directeur culturel de la Ville de Nantes, sur le sujet "la création artistique comme nouvelle forme d'engagement politique ?". Parce que de la vision que l'on a de la création artistique dépend la façon dont on conçoit et mène des actions de médiation entre cette création et le public, Tohu bohu revient sur les idées développées à cette occasion.

Reprenant la position du philosophe Francis Jeanson, qui fut chargé par André Malraux de diriger la Maison de la Culture de Châlons-sur-Saône de 1967 à 1971, Jean-Louis Bonnin soutient l'idée selon laquelle la création artistique ne doit pas être une facilité de consommation. Il est indispensable qu'elle emmène ailleurs, qu'elle entraîne celui qui se retrouve face à elle le plus loin possible. Le plus important est le choc émotionnel qu'elle suscite et la marque, le souvenir que l'on garde d'elle. Aussi, une œuvre ne se résume pas au rêve de son artiste mais a le devoir d'associer les gens.
La question est : comment ?

Il est regrettable que la création artistique se soit coupée de l'éducation populaire, qui milite pour la diffusion des savoirs avec l'objectif de l'émancipation de l'individu. Pour autant, l'intérêt d'un spectacle ne soit pas résider dans le fait que celui-ci s'adresse à une seule population. L'existence de tiers-lieux, d'espaces collectifs pour les artistes, de lieux de rencontre est déterminante. La transformation de l'usine LU à Nantes en Scène nationale, le Lieu Unique, relève de cette volonté de proposer un espace d'échanges et de circulation, tant entre les arts qu'entre les personnes. Pourtant, là-bas comme ailleurs, il arrive trop souvent que la salle de d'exposition n'accueille que des expositions, que la salle de spectacle reste salle de spectacle : cela ne bouge pas assez. Les lieux culturels s'enferment dans des postures alors qu'il faudrait pouvoir y passer et être acteur, regarder... Que tout y soit possible, grâce à l'énergie présente.

Au contraire, on constate une arrogance des institutions et des labels, et des cloisonnements à tous les niveaux, du fait des politiques culturelles menées en France.

Jean-Louis Bonnin cite ainsi l'écrivain Patrick Chamoiseau : "l'objectif, c'est de transmettre sans fin les énergies de l'impossible à concevoir". Le propos originel, extrait d'une Méditation psalmodiée lors du décrochage de l'exposition Breleur, le 12 juin 2016, à la Fondation Clément (Le François, Martinique), est le suivant :
"Les grands artistes, les grandes œuvres, installeront toujours une porte ouverte sur l'horizon sans horizon de l'impensable. Et c'est ce qui me semble important dans le geste artistique. Non pas la signification offerte, cette indigence qui nous rassure, mais véritablement une porte qui s'ouvre, qui jamais plus ne se refermera, et qui nous transmettra sans fin les énergies de l'impossible-à-concevoir."

À Nantes toujours, le projet de rénovation urbaine de l'Ile porte la volonté de créer du lien social. Un risque plane, celui de l'instrumentalisation de la culture, qui n'a pas à justifier sa place par son apport économique. Cette considération économique est bénéfique, tant qu'elle permet de mettre en avant des projets, des artistes, mais il semblerait que de ce côté-là, on assiste plutôt actuellement à des déconvenues. L'argent est au cœur des projets. C'est aussi contre cette tendance qu'est né le festival Bar-Bars : face aux investissements réalisés pour la construction du Zénith de Nantes, qui présente des têtes d'affiches, il paraissait essentiel de ne pas mettre de côté les artistes locaux, moins voire peu diffusés, et de leur permettre de se produire devant un public (en l'occurence, dans les bars et cafés de la ville).

Finalement c'est, tel que le formule le philosophe Michel de Certeau, de "braconnage culturel" dont on a besoin. C'est-à-dire de se placer dans une réception active, de s'approprier les objets culturels, de les apprécier, de les interpréter loin des formatages du pouvoir : ceux-là contre lesquels Jean Dubuffet s'élevait dans son manifeste de 1968 Asphyxiante culture. Débordons l'administration, qui nous dira toujours "ce n'est pas possible". S'il est une forme de démocratie "réelle"*, c'est peut-être bien la culture artistique : l'artiste a des choses à nous dire comme l'on a notre regard critique à apporter sur son œuvre.

* Selon le sociologue Albert Ogien, précédent intervenant de la soirée, "l'idée de démocratie "réelle" exprime aujourd'hui une exigence : permettre à la voix de chacun et chacune de se faire pleinement entendre dans la détermination du présent et du futur de la collectivité dont ils et elles font partie, et d'exercer un contrôle sur l'action des "élites" qui les dirigent".

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