Un Machin Chouette : les navets de Halloween

"Moi je ne fête pas Halloween, je suis contre !" ai-je entendu cet après-midi. Il faut dire que cette fête, souvent jugée trop mercantile, passe pour le symbole de l'influence américaine sur le reste du monde, et que ça ne plaît pas à tout le monde. Pourtant, bien avant que les citrouilles ne deviennent les emblèmes d'octobre, l'entrée dans les mois les plus sombres et les plus froids de l'année était déjà célébrée avec de drôles de légumes...


Plutôt qu'un pur produit américain, Halloween prend ses racines dans la fête de Samain, une fête celtique dont le nom (Samonios en gaulois) désigne le mois de novembre et semble signifier "la fin de l'été". Même si la date de sa célébration n'est pas fixe, elle correspond au moment de l'année où les récoltes s'achèvent et le bétail rentre des pâturages. Durant 3 à 7 nuits obligatoires, des assemblées juridiques s'agrémentent de festins, parfois de sacrifices d'animaux, et de feux druidiques. Les êtres humains peuvent communiquer avec le monde divin, invisible mais toujours présent en parallèle du monde des vivants. L'issue de la fête marque le début de la nouvelle année. 

Au-delà des nombreux rituels de Samain, d'autres coutumes se sont progressivement installées, en particulier des tournées cérémonielles pratiquées par les enfants que l'on retrouve à d'autres moments de l'année. Les enfants chantent en échange d'un don modeste, et leur présenter porte close est un présage de malheur. 

Lors de ces quêtes, ils portent des lanternes faites de légumes creusés, éclairés par des bougies. Navets, rutabagas, betteraves, petites courges et même concombres sont suspendus à de fines baguettes de bois. Ces lanternes ont plusieurs raisons d'être. D'abord, leur présence rassure : la lumière qu'elles émettent va à l'encontre de l'obscurité nocturne ; par extension, on peut croire qu'elles protègent de la mort et des mauvais esprits. Les visages de spectres qui y sont taillés sont aussi l'occasion de rire en se surprenant les uns les autres. Enfin, les légumes sont utilisés avec l'espoir de les voir se multiplier à la bonne saison. 

En France, la fabrication de lanternes végétales avait surtout lieu dans les Vosges, en Alsace, en Lorraine, en Bretagne, en Picardie et dans le Nord. On retrouve cette tradition en Irlande, en Ecosse, mais aussi Allemagne, en Suisse et en Autriche. 

L'instauration de la Toussaint au 1er novembre et celle de la fête des morts le 2 novembre se sont superposées aux premières croyances celtiques. L'Irlande et l'Écosse ont continué à faire vivre ces croyances avec force, tout en les accommodant aux pratiques chrétiennes. C'est de cette façon qu'est née Halloween, dont le nom est une contraction du vieil anglais "All Hallows' eve", soit "la fête de tous les Saints". La fête irlandaise retient l'idée de la présence des âmes des défunts la nuit du 31 octobre, une présence autant crainte qu'appréciée. Il s'agit d'accueillir et de réconforter ces errants en leur offrant de la nourriture et un bon feu, tout en évitant de sortir pour ne pas se faire emporter par eux. En Écosse, les jeunes gens incarnent les esprits en recouvrant leur visage de suie, d'un masque ou d'un voile ; les enfants partent en tournées avec des lanternes végétales.

Ces lanternes végétales sont appelées "Jack o'Lantern", en référence à la légende celte rapportant la malédiction de Jack l'Irlandais. Ivrogne et avare, l'accès au paradis lui est refusé après sa mort, tout comme celui des enfers : lui qui de son vivant s'est joué du diable à de nombreuses reprises est condamné à errer sur terre pour l'éternité avec pour seul accessoire un navet éclairé d'un charbon ardent.

La maladie de la pomme de terre et la famine qui s'ensuivit sont la cause de l'exode des Irlandais vers l'Amérique du Nord en 1840. Cette installation massive ainsi que l'émigration écossaise ont permis la diffusion de la fête de Halloween de l'autre côté de l'Atlantique avant que celle-ci ne revienne en Europe à partir des années 1990, dans une version plus carnavalesque

Les lanternes végétales ont cédé la place aux citrouilles, abondantes aux États-Unis et plus faciles à creuser. Trop lourdes pour être suspendues, elles sont désormais posées au bord des fenêtres et à l'entrée des maisons. Cependant la présence des navets et des betteraves est attestée jusqu'au début du siècle. En 2015, l'office du patrimoine anglais English Heritage a même tenu à rappeler l'importance de ces légumes oubliés dans les rites de cette fête automnale.




Sources bibliographiques : 

Nadine Cretin, Fêtes et traditions occidentales, collection Que-sais-je ?, Presses Universitaires de France, Paris, 1999.

Nadine Cretin, Inventaire des Fêtes de France d'hier et d'aujourd'hui, Larousse, Paris, 2003.

Jean Markale, Halloween, histoire et traditions, éditions IMAGO, Paris, 2000.

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