"Hé... La mer monte !", ou comment vulgariser en toute simplicité

En juillet dernier, le physicien Julien Broboff signait une tribune dans Le Monde, "Scientifiques et médiateurs doivent collaborer pour réinventer la vulgarisation". Une posture que semble rejoindre Eric Chaumillon, géologue et enseignant-chercheur en géologie maritime à l'Université de la Rochelle, responsable de l'Observatoire du Littoral et de l'Environnement. 

En 2010, la Nouvelle Aquitaine fut particulièrement impactée par la tempête Xynthia, responsable de nombreuses inondations, destructions et même décès dans la région.

Pour le scientifique, alors que la catastrophe est encore présente dans les esprits, des phénomènes tels que le réchauffement climatique, la hausse du niveau des mers et la submersion marine méritent largement d'être abordés avec le grand public. 

Mais la démarche n'est pas simple : comment échanger sur ces questions d'intérêt général avec le champ de personnes le plus large possible, bien au-delà de celui des étudiants et des chercheurs ?

Les principaux enjeux sont les suivants : 

- initier à des phénomènes complexes

- éveiller aux conséquences

- mobiliser pour mettre en place des solutions de prévention concrètes et efficaces, et les faire valoir auprès des élus locaux

Plus que tout, Eric Chaumillon veut s'adresser aux jeunes générations, à ceux qui vivront et dessineront le futur. Et l'observation de ses propres enfants l'amène à la conclusion suivante : loin de n'être que le véhicule du vice, internet est même un formidable outil de découverte et d'apprentissage. 

Avec le concours du Professeur Feuillage (Mathieu Duméry), comédien-Youtubeur-vulgarisateur, le projet d'un "show scientifique", mêlant précision, comique et spontanéité voit le jour. 

© Shutterstock - Conception Marie-Emanuelle Cellou

Dans le domaine de la vulgarisation sur scène, d'autres initiatives ont préexisté, notamment "Basic Einstein" de Damien Jayat, "l'Exoconférence" d'Alexandre Astier, ou des évènements organisés par les centres de sciences et les universités. Ici cependant, il ne s'agit ni d'un spectacle d'humour, ni d'une pièce de théâtre, mais d'une action de médiation dont le format emprunte autant à la conférence qu'à la discussion entre amis. 

C'est à l'occasion du colloque international "Adaptation des marais littoraux au changement climatique" organisé par le Forum des Marais Atlantiques, le Parc naturel régional du Marias Poitevin et l'Université de la Rochelle, que l'idée s'est véritablement concrétisée. Baptisé "Hé... La mer monte !", le show gratuit avait lieu le soir du 27 novembre dans l'auditorium de l'Encan. La salle, qui peut accueillir jusqu'à 800 personnes, était comble (certains n'ont même pas pu rentrer) !

La scénographie, sobre, reprend en partie les codes de la présentation classique : d'un côté, investi par Eric Chaumillon, se trouvent table haute et large écran ; de l'autre, canapé blanc et table basse donnent le ton adopté par le Professeur Feuillage, clown auto-désigné, pertinent mais décontracté. Enfin, un troisième protagoniste dont le public ne voit que les mains illustre et commente, en arrière-plan, ce qu'énoncent ses collègues : il s'agit de Guillaume Bouzard, auteur de bande-dessinée, dont les dessins réalisés pendant la soirée et projetés par intermittence sur grand écran apportent un éclairage supplémentaire (et très drôle).

Cliquez ici pour accéder au teaser du show, 
diffusé par le Parc naturel régional du Marais Poitevin

Sur scène, Eric Chaumillon et le Professeur Feuillage se donnent une réplique plutôt spontanée : le scientifique détaille graphiques et animations, le comédien blague, reformule, demande des explications. La soirée suit un plan de 8 thèmes — de l'Anthropocène à la corrélation entre le taux de CO2 dans l'atmosphère et la température terrestre, les mouvements verticaux des côtes ou encore le rôle des sédiments. Chacun de ces thèmes est exploré durant 10 minutes, une corne de brume placée dans le public marquant la fin du temps imparti.

Tout du long, les spectateurs sont libres de se manifester (en... criant, un moyen efficace et volontairement décalé), faire leurs remarques ou poser des questions, et chaque thème s'achève par un appel au public pour s'assurer que tout le monde ait la possibilité de s'exprimer.

Dans la salle se trouvaient couples, familles avec pré-adolescents, étudiants, groupes d'amis curieux : le public paraissait plutôt hétérogène en termes de tranches d'âge et de motivations.

Plusieurs facteurs peuvent l'expliquer : 

- les profils très différents des intervenants et leur renommée individuelle, 

- le visuel engageant de l'évènement et la diffusion des informations via plusieurs types de canaux (presse locale, flyers, réseaux sociaux sont ceux qui m'ont personnellement touchée), 

- la gratuité, 

- le lieu, dont la diversité des activités (salons, séminaires, spectacles, festivals...) ne permet pas de l'associer à une population exclusive, 

- le sujet, source d'intérêt voire de préoccupation pour les habitants du littoral

L'ambiance était très bon enfant, cela grâce à la pédagogie d'Eric Chaumillon, ainsi que la présence du Professeur Feuillage qui bousculait gentiment le discours scientifique. Egalement, l'entente entre les intervenants et la place accordée à l'échange avec les spectateurs participaient à cette convivialité : le public était donc dans les meilleures dispositions pour discuter de notions hors de ses problématiques quotidiennes.

De mon côté, en tant que spectatrice novice en matière de hausse du niveau des mers, j'ai passé un très bon moment : l'humour et l'humilité des protagonistes y sont pour beaucoup, ainsi que le sentiment satisfaisant d'avoir compris tout ce qu'on me disait. Si je ne suis pas encore capable de disserter avec assurance sur le sujet (ça tombe bien, ce n'était pas le but), j'ai surtout retenu l'importance de conserver des espaces naturels inondables, mais aussi que les digues, loin d'être la solution miracle aux submersions marines, peuvent même faire partie du problème.

Et bonne nouvelle, il vous sera possible de vous faire votre propre idée de la soirée grâce à un reportage court bientôt disponible en ligne (affaire à suivre sur la page Facebook du Parc naturel régional du Marais Poitevin...).

Et vous, connaissez-vous des initiatives qui mêlent les approches pour renouveler la vulgarisation scientifique ?